« Une révolte contre l’évidence » ?
Qu’est-ce qui fait tenir ensemble les unités langagières que nous utilisons, dans la vie courante ou dans les textes qu’il nous prend parfois d’écrire ? De quoi est faite la pâte de nos phrases ? Est-ce simplement d’un agencement de principes sémantiques et syntaxiques ? D’un plat enchaînement de mots répondant terme à terme à des idées qui nous traversent ?
Désordre dans la vallée de Josaphat
Cet exposé propose une brève histoire des conceptions successives du mal. Non seulement parce que l’on peut considérer le mal comme critère ordinateur et révélateur de « l’ordre des choses » d’une époque, mais il s’agit surtout de situer les deux auteurs sur lesquels nous allons nous attarder, Agamben et Arendt, par rapport à cette histoire.
Le montage comme idée et comme opération
Si nous parlons de montage, dans une année consacrée à "l’ordre des choses", c’est qu’il a été dit que le cinéma y pouvait quelque chose à cet ordre ; et qu’un de ses attributs primordiaux - le montage - se présentait comme l’opérateur d’une telle puissance.
ou l’ordre sans le pouvoir
On prête à Proudhon la formule suivante : "l’anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir". Comment penser une forme d’ordre qui ne soit pas le produit de l’action d’un principe ou de l’exercice d’un pouvoir ? Nous essayons de montrer qu’on peut soustraire l’ordre aux effets de pouvoir. C’est-à-dire déconstruire les hiérarchies. Deleuze et Guattari s’y sont affairés, en créant le concept de rhizome. Nous avons essayé de les lire en écoutant du free jazz.
Laver, ranger
Cette année nous allons nous intéresser à L’ordre des choses, et il nous semblait important de commencer cette réflexion par son sens le plus méprisé, le plus terre à terre et donc, quel dommage, le plus éloigné de la philosophie (le mariage entre matérialité et philosophie n’étant pas conclu) : le ménage.
Ce texte est issu du travail du groupe qui a étudié cette année la notion d’institution, en particulier à travers l’histoire de la psychothérapie institutionnelle. Il a été présenté lors de discussions sur le thème du communisme à l’été 2022.
« Comment sortir de la désespérante alternative entre d’un côté, une organisation fondée sur le modèle étatique, type parti ou syndicat (centralisme), et de l’autre, une suite ininterrompue mais toujours décevante de mouvements sans cesse voués à dépérir (spontanéisme) ? »
Ressaisir, à partir du livre de Giorgio Colli, le site historique, religieux, politique de la philosophie. Comprendre quelles sont les racines de ce langage que nous parlons et que nous avons pensé pertinent de pratiquer collectivement.
Dans ce cours, nous étudierons le cadre épistémologique fondé sur l’hypothèse de la différence sexuelle dans ses rapports complices et contradictoires avec des discours biologiques et féministes.
Les sociétés modernes se sont construites sur l’équation savoir = prévoir = pouvoir. Si l’écologie ne consiste pas seulement à ajouter des connaissances au premier terme, en quoi modifie-t-elle l’équation ?
On calcule sur des chiffres. Pour faire le compte d’une addition, cela se fait de tête. On s’en remet sinon à la machine. Mais lorsque cela se complique, on pose un X pour l’inconnu d’un tel calcul. Il faut alors penser et inventer de nouvelles formes de calcul. Mais que se passe-t-il si l’on interprète le X comme autre chose qu’une quantité ? Que devient une équation où le X n’est plus un chiffre, mais une proposition ou une idée ? La logique mathématique se mêle alors à notre langage et à notre vision du monde.
Le féminisme a contribué à déconstruire le mythe d’un discours universellement valide, en montrant qu’une telle prétention à l’universalité ou à la neutralité repose en réalité sur l’hégémonie d’une position singulière sur d’autres. Il faut alors comprendre que tout discours, tout savoir est situé. Mais c’est alors l’objectivité, comprise comme la possibilité de délier un énoncé de la subjectivité qui l’énonce, qui s’effondre.
On a vu qu’on ne pouvait pas prouver des énoncés théoriques par l’expérience ; mais selon Popper, on peut les réfuter : donc le « scientifiquement prouvé » a un sens, mais négatif : on ne peut avoir qu’un « scientifiquement réfutée, ou du moins réfutable ».
La science mérite-t-elle la suprématie sur « dire la vérité » qu’on lui donne ? La science nous donne-t-elle accès à une vérité qui fonderait une supériorité du discours rationnel (ou rationaliste) occidental sur les autres discours ?
Le mot « cybernétique » charrie avec lui quantité de fantasmes et de représentations en tout genre – ordinateurs, informatique, robots, nouvelles technologies en général. Le but de ce cours est Triple. Il s’agira en premier lieu de dissiper cette confusion en répondant précisément à la question « Qu’est-ce que la cybernétique ? ». Une fois ce point établi, nous essaierons de situer la cybernétique par rapport aux sciences de l’époque. Enfin, nous essaierons de dégager quelques uns des enjeux culturels qui entourent la naissance et le développement de la cybernétique.
Nous tenterons de répondre à cette question avec notamment le livre de Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (1962).
Que la Terre tourne autour du Soleil – et non pas l’inverse – est l’une des plus grandes certitudes acquises par la science moderne. C’est aussi un énoncé qui a fait basculer le monde, du système ptoléméen au système copernicien, du géocentrisme à l’héliocentrisme, de l’harmonie cosmique au silence des espaces infinis.
On considère généralement nos amis comme nos proches. Il se pourrait cependant que la proximité, par quoi on a l’impression d’être fait les un.e.s pour les autres, ne soit que l’indice d’un narcissime profond qui nous fait chercher en l’autre le simple reflet de nous-mêmes. Que serait une amitié débarrassée de tout narcissisme ? La critique nietzschéenne de l’amour du prochain accouche d’une proposition énigmatique : une amitié d’étoiles.
Théoriquement, la relation qui unit les citoyens dans nos États modernes est celle du contrat : contrat politique entre le peuple et ses représentants, contrat économique entre les membres du peuple. Libre ensuite aux individus de signer toute sorte de contrats supplémentaires, tant qu’ils respectent des règles minimales (le droit). Nous proposons l’expérience de pensée suivante : que deviendrait un système politique si la relation qui en unit les membres était l’amitié plutôt que le contrat ? Est-ce seulement possible ? Peut-on encore parler de système politique ? Et puis, que faire alors des relations qui n’entrent pas dans le cadre de l’amitié ?
Telle qu’on la connaît, l’amitié est une affaire d’hommes. Elle a été, dans la culture occidentale, dominée par des valeurs fondamentalement masculines, parmi lesquelles, au premier titre, la fraternité. Si l’homme est l’ami de l’homme et que la femme est tenue pour l’objet de l’homme, en quel sens est-elle l’amie de la femme ? Et pourrait-elle être l’amie de l’homme ? On s’interrogera, à partir des théories féministes, sur la signification et la possibilité d’une amitié féminine.
Nous nous poserons d’abord dans ce cours la question de la distinction entre amour et amitié, après avoir tenté de les définir : affects, relations, expériences ? Il s’agira d’interroger le critère qui permet de dire qu’on « tombe amoureux.se », par exemple d’un.e ami.e, alors même qu’on aime tou.te.s ses ami.e.s. On s’attardera notamment sur l’hypothèse qui semble la plus commune : celle faisant du désir sexuel le point de bascule de l’amitié vers l’amour. On se demandera alors ce qui sépare les amoureux.ses qui s’aiment des amant.es qui font l’amour, en nourrissant nos interrogations d’une étude de la figure moderne dessex friends, ces ami.e.s qui font l’amour.
La « vertu » dans le théorie de l’amitié chez Aristote
Que veut dire se soucier de ses amitiés ? Non pas l’ami, dans l’appréhension fine de sa manière d’être que je peux en avoir, ni moi-même dans ce que j’attends ou demande de mon ami, mais cette relation d’amitié elle-même, et à travers elle ce qui est partagé par deux amis. Quelle est-elle cette chose ? Et ce qui est partagé par les deux amis, est-il en soi commun, c’est-à-dire possiblement partageable avec d’autres ? Ou ce ne serait qu’un bien réservé à des amitiés exemplaires, voire impossibles, inexistantes finalement, vis-à-vis desquelles toute amitié n’est qu’une pâle copie décevante ? On abordera ces problèmes à travers quelques enjeux posés par le rôle de la "vertu" (arete) dans la théorie de l’amitié d’Aristote tel qu’il l’expose dans L’Ethique à Nicomaque.
Si le philosophe est, comme le prétend l’étymologie, l’ami de la sagesse, alors la relation qui unit le philosophe au savoir doit nous enseigner quelque chose de l’amitié. Pourtant, le philosophe n’est pas l’ami des hommes, mais des Formes. En cela, la philosophie semble ignorer toute relation interpersonnelle et leur préférer le rapport à un savoir absolu. Elle prétend cependant que ce désir de vérité, loin de lui être propre, constitue la vérité du désir. Pour que le désir parle vrai, il faut des formes. Nous essayerons de comprendre ce qui se joue dans un dialogue et à quelles conditions une vérité peut s’y exprimer.
Bibliographie :
L’étymologie courante veut que la philosophie soit « l’amour de la sagesse ». Le terme grec philia et le verbe philein renvoient toutefois à l’idée d’amitié plus qu’à celle d’amour. Le nom même de « philosophie » enveloppe donc l’amitié. Aimer la sagesse, non pas comme un amoureux ou un amant, mais comme un ami, qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut peut-être dire, avant tout, être ami.e.s dans la sagesse.
Se convertir, ce n’est pas simplement changer d’idées ou de croyances, mais c’est changer de vie. Que signifie, cependant, changer de vie ? Que change-t-on exactement quand on change de vie ? La notion wittgensteinienne de forme de vie constitue une réponse à cette question : se convertir, c’est modifier son mode de vie. Quel est le rapport entre la manière et la vie ? En quoi la manière modifie-t-elle la vie elle-même ? On voudrait montrer que le concept de forme de vie permet à Wittgenstein de penser une modification pratique de coordonnées transcendantales de la vie. En ce sens, la conversion est un opérateur révolutionnaire.
Pour Hegel , « Il n’y a pas de héros pour son valet de chambre ». Non pas parce que le héros n’est pas un héros, mais parce que le valet de chambre est un valet de chambre. Autrement dit, celui – ou celle – qui a affaire à la sphère de la reproduction, qui prend soin de disposer les choses pour permettre aux autres d’agir ou de produire, est exclu de ce qu’Hegel nomme la réalité. Il réserve en effet ce nom aux êtres et aux choses qui ont la force de paraître sur la grande scène de l’histoire.
A partir d’un exposé sur la dialectique hegelienne et sur sa version marxiste, on reprendra les analyses de certaines féministes, notamment Carla Lonzi, qui tentent de dépasser l’opposition entre le monde et le foyer, entre la vie et l’Histoire.
« La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature. » Que signifie donc que la vraie vie soit imaginaire comme l’avance Proust ? La séance prendra appui sur des matériaux littéraires et fictionnels (Proust, Rimbaud, Bolaño). Pour montrer comment l’imaginaire permet de nouer ensemble la vérité et la vie, nous nous appuierons aussi sur la pensée noétique arabe, qui a envisagé l’imagination comme un mode de connaissance propre, et en fait la demeure propre de l’âme. Nous établirons ainsi que l’imaginaire permet de penser comment la vérité advient dans la vie, et comment la vie accède à sa vérité.
Le terme de « survie » admet deux connotations différentes. Lorsqu’on évoque la survie dans le désert, on pense à la forme la plus précaire, la plus fragile, la plus diminuée de la vie. Inversement, lorsqu’on dit que l’âme survit au corps, on s’imagine une vie après la mort, c’est-à-dire une autre vie, plus vraie, plus belle, plus haute. Ces deux usages du terme paraissent presque contradictoires. Ils portent cependant la même idée : celle d’un excès du vivant par rapport aux conditions de sa propre vie. Que ce soit dans l’expérience de la privation ou dans celle du dépassement, la vie semble toucher à ce qui en elle survit, à ce qui reste ou qui résiste quand tout a disparu. À partir de cette étrange coïncidence, nous ferons l’hypothèse que ce qu’une vie a de plus vrai est cela qui en elle-même l’excède – la capacité de survivre – et nous chercherons dans les différentes formes de la survie autant de figures de la vérité.
Dans cette séance, nous voulons questionner la vie à partir d’un sentiment aussi banal qu’il peut s’avérer intense : l’angoisse de la mort. La mort peut être vue comme dépassement ou accomplissement de la vie, comme passage, réincarnation, grand sommeil, séparation de l’esprit et du corps, pour le meilleur ou pour le pire. À chacune de ces images de la mort correspond sans doute une palette de rapports que les humains vivants entretiennent avec la mort, de l’espoir à la crainte en passant par l’acceptation ou l’attente. La modernité, en balayant les grands récits mythiques et religieux, nous laisse seuls et sans réponse face à la mort. De là naît un rapport particulier avec elle : la peur, voire l’angoisse de la mort. Pour les chrétiens qui
craignaient l’enfer, il y avait quelque chose qui faisait peur dans la mort, une certaine image des souffrances et des malheurs qui attendaient les pécheurs. Si la peur est peur de quelque chose de déterminé, il n’en va pas de même avec l’angoisse. Elle nous saisi lorsque l’on a peur sans savoir de quoi : la mort est tellement peu représentable que le sentiment qu’elle provoque est comme un vertige de frayeur sans objet.
Vers une science de la vraie vie ?
L’objet de cette séance sera de découvrir la pensée d’un auteur, Husserl, dont l’ambition est de mener la critique radicale à la fois de la science moderne et de la façon prétendument la plus simple dont nous nous rapportons au monde.
Retrouver la vraie vie, ce serait alors pour Husserl tenter par une méditation rigoureuse de mettre de côté nos préjugés pour redescendre jusqu’au sol primordial de l’expérience vécue, qu’il nomme « le monde de la vie », où les choses nous apparaîtraient telles qu’elles sont. Le projet husserlien, que nous étudierons et interrogerons, consiste à faire de ce sol le fondement d’une science, d’une vérité, et d’un rapport au monde qui ne soient plus coupés de la vie.
Pour cette séance, on commencera par suivre le raisonnement de Nietzsche dans sa dimension destructrice. Ce dernier s’attaque en effet à tous les discours prétendument absolus – par exemple ceux de la philosophie ou de la religion – pour les ramener au type de vie qui l’énonce, en se demandant à chaque fois qui parle. Nietzsche est ainsi un des premiers auteurs à détruire la croyance en l’existence de vérités indépendantes de leur situation d’énonciation, et des rapports de pouvoir particuliers qui les caractérisent. Cette forme de nihilisme fait aujourd’hui partie de notre condition contemporaine : pourquoi choisir un mode de vie plutôt qu’un autre si toute croyance peut être réduite à une stratégie vitale ?
On verra ensuite comment Nietzsche tente de sortir de ce nihilisme. Pour cela, il lui faut reconstruire une distinction entre différentes existences plus ou moins authentiques, à l’intérieur d’un cadre où toute transcendance a été détruite. On examinera sa proposition, qui en passe entre autre par une opposition entre force et faiblesse, et on en questionnera les limites.
Quand la philosophie apparaît au Ve siècle av. J.-C., elle ne naît pas comme science, mais comme mode de vie. Philosopher, c’est vivre un certain genre de vie et, si l’on en croit ceux qui le vivent, le meilleur parmi tous. La vie bonne, c’est la vie contemplative. Une telle affirmation s’appuie une réflexion plus large sur les formes de vie – qui ne se réduit ni à la biologie, ni à la sociologie, ni à l’anthropologie, mais qui se situe en
deçà du partage entre l’étude générale du vivant et celle de ses formes singulières. La philosophie n’est donc qu’une forme de vie parmi les autres, mais cette forme prétend être la plus haute. Il faut donc chercher à comprendre ce qui lie l’étude des formes de vie à un plaidoyer pour la vie philosophique. Si le mot grec theoria ne signifie pas simplement « théorie », c’est-à-dire un savoir coupé de l’expérience, mais « contemplation », c’est-à-dire un certain rapport vivant à ce qui est, alors il faut examiner en quoi ce rapport peut prétendre être plus vrai que les autres.