Nous voulons faire de la philosophie, c’est-à-dire penser avec conséquence. Pour cela, nous voulons fonder une école. Or à l’école, habituellement, la pensée est privée de ses conséquences parce qu’elle est coupée de ses conditions. La condition fondamentale de la pensée est la vie. Elle en est aussi l’enjeu le plus profond : parce que la pensée part du vécu et y retourne. Il ne sert à rien d’apprendre la définition de la liberté sans avoir fait l’expérience de l’aliénation et sans chercher à s’en libérer. C’est ce que l’école tend à nous faire oublier. La pensée y est exposée comme un ensemble de discours, de théories, de doctrines que l’on monnaie contre des notes et des diplômes.
Cette pensée terriblement abstraite et désincarnée n’est pas coupée de toute vie – comment le pourrait-elle ? – mais elle s’accorde avec une manière de vivre assez peu enthousiasmante : celle des étudiant·e·s ou des professeur·e·s, c’est-à-dire des salarié·e·s de la pensée. Ce que l’on apprend dans un cours de philosophie est souvent très intéressant et parfois absolument bouleversant, et pourtant on ne sait pas quoi en faire, parce que le désir de savoir n’a pas d’autre conséquence sur le plan existentiel que de devenir un·e professionnel·le de la pensée, c’est-à-dire un·e professeur·e ou un·e intellectuel·le critique.
Si à l’inverse on décide de prendre au mot la critique, de rompre avec ce monde et de quitter les bancs de l’école afin de prendre en main ses conditions de vie, il devient difficile de continuer à penser, au sens philosophique du terme, parce que la vie livrée à elle-même produit rarement autre chose que sa propre justification. Assumer les conséquences d’une pensée, c’est mettre en question les conditions matérielles et imaginaires de la vie qui la porte, quitte à les bouleverser. Fonder une école de philosophie ne vise donc pas seulement à transmettre des savoirs ou à les critiquer, mais à forger des outils permettant de donner à nos vies les formes les plus justes.