« Bernard c’est le monde à l’envers, c’est un baiser sur la joue de ma femme qui est complètement gênée, Bernard c’est une parole , c’est un vin, un homme qui se soule complètement. Bernard c’est celui qui va te donner ce qu’il y a à te donner. »
Pour parler d’amitié et vérité, nous avons choisi un film de Pierre Perrault (1927-1999) qui s’intitule La bête lumineuse (1982).
Perrault est un cinéaste québecois qui rencontre Michel Brault, le père du cinéma direct, caractérisé notamment par une esthétique de caméra à l’épaule.
Ils ont réalisé ensemble Pour la suite du monde (1963), film documentaire sur la pêche au belouga et premier film québecois à être projeté à Cannes.
Le cinéma direct ou le cinéma-vérité
On a différentes appelation pour parler de cinéma vérité, ou cinéma direct ou cinéma du vécu. Cette typologie du cinéma a vu le jour en Amérique du nord, Québec et Canada entre 1958 et 1962. Dans son acception initiale, il souhaite capter le « réel » mais il devient surtout une manière de poser la question de la vérité, et de questionner la capacité du cinéma à faire émerger ou saisir une vérité intime des personnages filmés. Le cinéma direct a été rebaptisé entre 1960 et 1963 cinéma vérité en France, notamment avec Chronique d’un été en 1961, qui est le manifeste cu cinéma vérité français.
Perrault est un pionnier de ce qu’on appelle le cinéma direct, mais qu’il appellera lui-même cinéma du vécu.
Le cinéma direct est permis principalement par l’apparition de moyens techniques. Avant les années 1960, le son est enregistré sur des appareil (nagra) très volumineux et pas fiables. Les sons ne sont pas enregistrés en même temps que l’image, créant ainsi une bande sonore plus proche de la fiction (voix off, sons d’ambiance…) L’apparition de la caméra 16mm éclair, petite et maniable et synchronisable avec le son. Cette évolution technique permet la vraissemblance, donc l’illusion de pouvoir capter la vérité. Ce genre se caractérise par une volonté de sortir dans la rue, poser des questions à des inconnues, sans le cadre habituel des films de fictions, ou documentaire. Ce serait une sorte de cinéma nu, de témoignage de l’époque, des gens, du monde, une vérité. Son héritier tout à fait indigne, serait le micro-trottoir.
Cinéma du vécu
Il n’y a pas de fiction préétablie pour Perrault. Le film ne prétend pas capter la vérité d’un personnage, mais le permettre de fictionner. Deleuze relate une querelle entre René Allio (réalisateur notamment de Moi, Pierre Rivière) et Perrault, dans L’image-temps, dans le chapitre intitulé Les puissances du faux qui pose la question de ce que veut dire cinéma vérité. Quelle différence entre une fiction qu’un auteur écrit et dans laquelle il fait entrer des personnages authentiques (Allio) et qui des personnages réels qui fictionnent (Perrault) ?
Pour Perrault, le film est le cadre pour le filmé de fictionner. Et quand l’indien se met à fictionner c’est au nom d’une mémoire fabuleuse. Fabuleuse au sens de fabulation. Deleuze parle de la fabulation comme fonction des opprimés et de la légende comme fonction des pauvres.Pourquoi la fabulation est nécessaire pour la mémoire ? Écrasés par l’histoire, il faut déchaîner la fonction fabulatrice.
Perrault, en tan que cinéaste cultivé et blanc, dit qu’il parlera forcément depuis un peuple colonisateur. Quoiqu’il invente, ce seront des idées dominantes. Alors, il veut donner un cadre pour que les opprimés fassent légende et c’est cela son cinéma. Perrault veut faire un cinéma politique qui passe par la fabulation. La vérité politique, la vérité des filmés passe par la légende, la vérité tout simplement passe par le faux.
La bête lumineuse, Pierre Perrault, offert par l’Office national du film du Canada
Est un film sur une partie de chasse à l’orignal dans la nature, entre hommes, dans une petite cabanne où l’on boit. Est présent notamment Bernard, un homme viril, qui sait se servir de son fusil. Il a invité son ami Stéphane. Stéphane aime Bernard, il aime parler de Bernard, écrire des poèmes sur Bernard. Et ce poète est plus adroit à l’arc qu’au fusil.
Le film se passe dans la cabane, dans l’ivresse, dans les mots. Et dans l’attente de cet orignal qui est bien plus un animal mythique, à fantasmer qu’une vraie cible. Comme dirait Stéphane, « la cible est une illusion ». Ils vont chasser, non pour réellement tuer, mais pour imaginer, pour traquer cet orignal qu’ils ne verront sûrement jamais. Encore une fois, pour fantasmer cette bête magique et peut-être inventée. Car « la bête mythique on la soupçonne », on ne la voit pas. Peut-être est ce dommage pour un film. Mais tout le film ne filme que ceux qui regardent, la cible, encore une fois est une illusion, il n’y aura pas de contre-champ. On voit les regards, mais pas ce qui est regardé. Et c’est peut-être une des grandes forces de ce film sur la chasse. Ne pas filmer la proie.
Ce film est un grand poème d’amour d’un ami à un autre, un poème que l’un ne veut pas entendre. C’est donc constamment des opérations de dire-vrai entre les amis, Bernard et Stéphane. Tout ce qu’ils se disent met en danger leur amitié, la menace. Stéphane va trop loin pour Bernard, Bernard manque d’attention pour Stéphane, ils se le disent, ils ne sont pas du même monde. L’homme de la parole contre l’homme du canon froid. Stéphane ne cadre pas dans le monde de chasseur de Bernard.
Ces opérations de sincérité passent notamment par l’utilisation régulière de regards-caméras. Ce motif nous semblait important pour parler d’amitié et de vérité, car c’est une forme qui incarne une vérité du cinéma. Regarder la caméra, témoin de la parole que l’on profère. Regarder la caméra pour simplement dire qu’il y a une caméra, et dire qu’il y a une caméra, c’est la preuve d’une grande transparence. Stéphane, au début du film est chez lui, face à un autre ami, et il lui raconte Bernard. Il regarde la caméra et il commence son récit. Récit enchassé de plusieurs temporalités, dont nous n’aurons jamais la fin. Il regarde la caméra pour commencer à raconter Bernard, comme on raconte l’orignal, être mythique, ou bête lumineuse, et l’opération de fabulation se lance.
« c’est le premier être que j’ai rencontré sur un comptoir d’épicerie.
Il me raconte la première menterie de sa vie, à partir de ce moment là, je l’ai aimé. »
Tout peut servir d’exemple. Donc il n’y a pas d’exemple en soi.
A première vue, l’exemple de quelque chose est là pour consolider l’existence d’autre chose, pour faire advenir son être, pour l’imposer. On dirait que l’exemple est de l’ordre de l’impur, de l’imparfait, dévoilant partiellement et imparfaitement une réalité qui lui est supérieure. L’exemple a une fonction de monstration, il fait signe vers autre chose qui est extérieure à lui-même.
Quand la philosophie apparaît au Ve siècle av. J.-C., elle ne naît pas comme science, mais comme mode de vie. Philosopher, c’est vivre un certain genre de vie et, si l’on en croit ceux qui le vivent, le meilleur parmi tous. La vie bonne, c’est la vie contemplative. Une telle affirmation s’appuie une réflexion plus large sur les formes de vie – qui ne se réduit ni à la biologie, ni à la sociologie, ni à l’anthropologie, mais qui se situe en
deçà du partage entre l’étude générale du vivant et celle de ses formes singulières. La philosophie n’est donc qu’une forme de vie parmi les autres, mais cette forme prétend être la plus haute. Il faut donc chercher à comprendre ce qui lie l’étude des formes de vie à un plaidoyer pour la vie philosophique. Si le mot grec theoria ne signifie pas simplement « théorie », c’est-à-dire un savoir coupé de l’expérience, mais « contemplation », c’est-à-dire un certain rapport vivant à ce qui est, alors il faut examiner en quoi ce rapport peut prétendre être plus vrai que les autres.
Pour cette séance, on commencera par suivre le raisonnement de Nietzsche dans sa dimension destructrice. Ce dernier s’attaque en effet à tous les discours prétendument absolus – par exemple ceux de la philosophie ou de la religion – pour les ramener au type de vie qui l’énonce, en se demandant à chaque fois qui parle. Nietzsche est ainsi un des premiers auteurs à détruire la croyance en l’existence de vérités indépendantes de leur situation d’énonciation, et des rapports de pouvoir particuliers qui les caractérisent. Cette forme de nihilisme fait aujourd’hui partie de notre condition contemporaine : pourquoi choisir un mode de vie plutôt qu’un autre si toute croyance peut être réduite à une stratégie vitale ?
On verra ensuite comment Nietzsche tente de sortir de ce nihilisme. Pour cela, il lui faut reconstruire une distinction entre différentes existences plus ou moins authentiques, à l’intérieur d’un cadre où toute transcendance a été détruite. On examinera sa proposition, qui en passe entre autre par une opposition entre force et faiblesse, et on en questionnera les limites.