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1ère année : 2018-19

Nous inaugurerons l’école avec un premier semestre de cours qui durera toute l’année. Le thème que nous nous proposons d’étudier est celui de la vraie vie. Il s’agit d’une question aussi vieille que la philosophie elle-même.

Nous voudrions cependant la réinscrire dans la perspective générale de l’époque et dans celle, plus précise, de l’école. Dans cette double perspective, poser la question de la vraie vie relève d’une double exigence. La première consiste à ramener la pensée à ses conditions de vie. La seconde impose de dépasser la maladie du siècle qu’est le relativisme, à savoir, l’opinion selon laquelle toutes les idées et toutes les existences se valent – puisqu’un jugement est toujours énoncé depuis un point de vue ou une vie particulière. En vertu de cette double exigence, nous devons tenir l’affirmation suivante : que la pensée soit nécessairement incarnée n’implique pas que tout soit indifféremment vrai ou faux.
Il nous a donc semblé évident de débuter notre étude commune par une interrogation des rapports possibles entre vie et vérité : comment appliquer les catégories du vrai et du faux à l’existence ? une vie peut-elle être plus vraie qu’une autre ? de quelle « vie » parle-t-on alors ? l’un des sens de la notion de vie est-il davantage susceptible d’être reconnu comme véritable ? Ce type d’interrogations nous permettra de penser ensemble les conditions vitales et théoriques dans lesquelles nous aimerions resituer la philosophie. Cette dernière ne peut considérer comme réglé le problème de la vérité – de sa définition, de sa valeur, etc. – mais, bien au contraire, ne cesse de le reposer d’une manière ou d’une autre ; tout comme elle n’a jamais cessé, ou ne devrait jamais avoir cessé, de nous dire quelque chose de la vie, c’est-à-dire depuis la vie.
Prendre comme premier objet d’attention une expression aussi évocatrice et faussement surannée que celle de « la vraie vie » est ainsi une manière de refaire de l’étude patiente de la philosophie une prise de parti dans l’existant. À double titre. D’abord, parce que cette question : « Qu’est-ce que la vraie vie ? » fut au centre de chaque îlot de pensée et de vie qui, depuis l’Antiquité, mérite d’être appelé une école de philosophie. Penser « avec conséquence » devrait dès lors sonner à nos oreilles comme « penser depuis sa vie, vivre depuis sa pensée ». Ensuite, parce que si le discours capitaliste promet sans cesse à l’individu une expérience bradée de « la vie, la vraie », cette promesse n’est que l’expression publicitaire et commerciale du cynisme et du relativisme de l’époque – d’une époque où la possibilité même d’interroger sérieusement les conditions d’une vie bonne et authentique se trouve annulée par l’équivalence générale de toute forme de vie et où pourtant la vraie vie ne cesse de nous paraître « absente ». La vérité a toujours eu ceci de dérangeant qu’elle se trouve être contraignante dès lors qu’elle vient inquiéter le vécu. Assumer une recherche sérieuse au sujet de la vraie vie réclame donc une fermeté théorique et existentielle que le libéralisme décrit sans cesse comme obsolète et dangereuse.
Cette fermeté et ce souci de la pensée comme de l’existence, nous aimerions les exercer ensemble au fil de cours et d’exercices dont pourrait naître une inquiétude – si ce n’est une perception – commune concernant ce que peut être la vie lorsqu’elle cesse de nous sembler fausse. Prenons donc acte du fait que l’on ne peut pas définir frontalement la vie et que l’on ne peut pas lui appliquer abstraitement des critères de vérité, puisque c’est toujours depuis une existence singulière que l’on formule un tel jugement. La vie et la vérité sont prises dans un cercle qui interdit de les traiter séparément : la vérité n’est pas une simple vue sur le monde, mais ce qui lie une existence singulière au monde ; une vie n’est pas un organisme, mais ce qui dans le monde tranche, découpe, met en jeu les procédures de vérité qui la définissent. On ne sortira pas de ce cercle. En revanche, si nous voulons rompre avec la mise en équivalence généralisée des existences qui en autorise la gestion économique, il faut parvenir à penser la manière dont une vie se noue à sa vérité. C’est pourquoi nous proposons de reposer, depuis une irréductible pluralité de perspectives, la question de la vraie vie.


La vraie vie

Novembre 2018

Exemplifier

Tout peut servir d’exemple. Donc il n’y a pas d’exemple en soi.
A première vue, l’exemple de quelque chose est là pour consolider l’existence d’autre chose, pour faire advenir son être, pour l’imposer. On dirait que l’exemple est de l’ordre de l’impur, de l’imparfait, dévoilant partiellement et imparfaitement une réalité qui lui est supérieure. L’exemple a une fonction de monstration, il fait signe vers autre chose qui est extérieure à lui-même.

Exposé

la vraie vie

novembre 2018

La vie bonne : genres et formes de vie dans la philosophie antique

Quand la philosophie apparaît au Ve siècle av. J.-C., elle ne naît pas comme science, mais comme mode de vie. Philosopher, c’est vivre un certain genre de vie et, si l’on en croit ceux qui le vivent, le meilleur parmi tous. La vie bonne, c’est la vie contemplative. Une telle affirmation s’appuie une réflexion plus large sur les formes de vie – qui ne se réduit ni à la biologie, ni à la sociologie, ni à l’anthropologie, mais qui se situe en
deçà du partage entre l’étude générale du vivant et celle de ses formes singulières. La philosophie n’est donc qu’une forme de vie parmi les autres, mais cette forme prétend être la plus haute. Il faut donc chercher à comprendre ce qui lie l’étude des formes de vie à un plaidoyer pour la vie philosophique. Si le mot grec theoria ne signifie pas simplement « théorie », c’est-à-dire un savoir coupé de l’expérience, mais « contemplation », c’est-à-dire un certain rapport vivant à ce qui est, alors il faut examiner en quoi ce rapport peut prétendre être plus vrai que les autres.

Exposé

La vraie vie

décembre 2018

Vie et vérité chez Nietzsche

Pour cette séance, on commencera par suivre le raisonnement de Nietzsche dans sa dimension destructrice. Ce dernier s’attaque en effet à tous les discours prétendument absolus – par exemple ceux de la philosophie ou de la religion – pour les ramener au type de vie qui l’énonce, en se demandant à chaque fois qui parle. Nietzsche est ainsi un des premiers auteurs à détruire la croyance en l’existence de vérités indépendantes de leur situation d’énonciation, et des rapports de pouvoir particuliers qui les caractérisent. Cette forme de nihilisme fait aujourd’hui partie de notre condition contemporaine : pourquoi choisir un mode de vie plutôt qu’un autre si toute croyance peut être réduite à une stratégie vitale ?
On verra ensuite comment Nietzsche tente de sortir de ce nihilisme. Pour cela, il lui faut reconstruire une distinction entre différentes existences plus ou moins authentiques, à l’intérieur d’un cadre où toute transcendance a été détruite. On examinera sa proposition, qui en passe entre autre par une opposition entre force et faiblesse, et on en questionnera les limites.