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2ème année : 2019-20

L’étymologie courante veut que la philosophie soit « l’amour de la sagesse ». Le terme grec philia et le verbe philein renvoient toutefois à l’idée d’amitié plus qu’à celle d’amour. Le nom même de « philosophie » enveloppe donc l’amitié. Aimer la sagesse, non pas comme un amoureux ou un amant, mais comme un ami, qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut peut-être dire, avant tout, être ami.e.s dans la sagesse.

L’étymologie courante veut que la philosophie soit « l’amour de la sagesse ». Le terme grec philia et le verbe philein renvoient toutefois à l’idée d’amitié plus qu’à celle d’amour. Le nom même de « philosophie » enveloppe donc l’amitié. Aimer la sagesse, non pas comme un amoureux ou un amant, mais comme un ami, qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut peut-être dire, avant tout, être ami.e.s dans la sagesse.
Pourtant, cette relation intime entre philosophie et amitié n’a rien d’évident aujourd’hui : rares sont les pensées qu’on partage entre amis. La philosophie se fait plus volontiers dans le commerce des livres et des bibliothèques. Quand on en parle, c’est à un public anonyme, d’étudiants, de professeurs, de lecteurs. Plus profondément, et depuis ses débuts, la philosophie se paie d’une grande solitude. La tradition fait d’ailleurs remonter à Aristote l’adage suivant : « Platon est mon ami, mais la vérité l’est encore plus ». L’unique amie du philosophe, ce n’est pas une autre philosophe, mais la vérité elle-même : le rapport à la vérité est alors la seule chose qui s’excepte de l’amitié. Cet héritage a la peau dure puisqu’on caricature encore le philosophe comme une personne seule, perdue dans ses pensées, à distance de tous les sentiments qu’on éprouver dans l’amitié.
Inversement, rares sont les moments où l’on pousse l’amitié jusqu’au partage d’une idée. Les existences que l’on mène de nos jours et leur formatage social ne permettent pas que l’on philosophe avec ses amis. On fait la fête et on s’amuse, on partage des choses tristes ou des confidences. Avec combien d’amis, cependant, partage-t-on une idée du bonheur ? C’est comme si l’expérience de l’amitié et la pratique de la philosophie ne coïncidaient jamais.
On dit qu’on ne choisit pas sa famille, mais choisit-on vraiment ses amis ? C’est plutôt qu’on les trouve, et qu’à partir de là se font nos choix. Lorsque nos choix de vie nous séparent, ce n’est jamais complètement. C’est ce dont on fait l’expérience avec les amis d’enfance : même quand tout nous oppose, on peut encore se souvenir et rire ensemble. On n’aime donc pas ses amis de façon rationnelle. L’amitié se fonde sur un sentiment singulier qui nous lie aux autres, fait tout à la fois de tendresse, d’admiration, de respect, de bienveillance, etc. Dans ses versions les plus basses – dans les relations de travail ou sur Facebook – il ne reste de l’amitié que le fait de se connaître ou de se fréquenter. Comme si c’était là son noyau minimal.
Un certain découpage des identités sociales assigne donc la philosophie à la solitude et éloigne l’amitié de tout rapport à la vérité. Cela n’a pourtant rien d’évident. En effet, qu’est-ce qu’une vérité qu’on ne peut pas partager ? Est-ce encore une vérité ? La vraie vie ne demande-t-elle pas à être partagée, comme tout le reste, dans l’amitié ? Il faut en effet la bienveillance de l’amitié pour se risquer à mettre à nu sa pensée et avouer son ignorance à quelqu’un d’autre. Le fait d’être plusieurs à avoir raison ne nous rend pas forcément amis. Il se pourrait cependant que le fait d’être amis soit la condition de l’accès à la vérité. Pourquoi alors l’amitié et la vérité s’excluent-elles si souvent ?
C’est peut-être de ce problème que témoignent les écoles de philosophie antiques. La pensée commence dans le partage d’un commun désœuvrement (scholè). Dans l’écart entre la vérité et l’amitié, entre ce qui demande à être pensé et celles et ceux qui pensent ensemble, s’ouvre la question éthico-politique de la philosophie. C’est-à-dire la tâche d’organiser ensemble l’amitié et la pensée, de telle sorte qu’elles donnent une orientation et une forme concrète à l’existence. En ce sens, l’école de philosophie voudrait être l’espace où s’expérimente cette amitié dans et pour la vérité. Une sorte d’amicale de la sagesse.
C’est pourquoi nous avons choisi, pour prolonger la réflexion sur la vraie vie, de consacrer l’année prochaine à la question de l’amitié. Cerner le lien que la philosophie essaie de nouer entre amitié et vérité appelle une réflexion sur les autres types de relations qui l’entourent (famille, amour, inimitié, etc), sur les dangers qui la guettent (séduction, trahison, rivalité, etc) ainsi que sur les affects qui circulent en son sein (joie, tristesse, confiance, etc).

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deçà du partage entre l’étude générale du vivant et celle de ses formes singulières. La philosophie n’est donc qu’une forme de vie parmi les autres, mais cette forme prétend être la plus haute. Il faut donc chercher à comprendre ce qui lie l’étude des formes de vie à un plaidoyer pour la vie philosophique. Si le mot grec theoria ne signifie pas simplement « théorie », c’est-à-dire un savoir coupé de l’expérience, mais « contemplation », c’est-à-dire un certain rapport vivant à ce qui est, alors il faut examiner en quoi ce rapport peut prétendre être plus vrai que les autres.

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On verra ensuite comment Nietzsche tente de sortir de ce nihilisme. Pour cela, il lui faut reconstruire une distinction entre différentes existences plus ou moins authentiques, à l’intérieur d’un cadre où toute transcendance a été détruite. On examinera sa proposition, qui en passe entre autre par une opposition entre force et faiblesse, et on en questionnera les limites.