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La survie. L’au-delà de la vie comme idée de la vraie vie.

Le terme de « survie » admet deux connotations différentes. Lorsqu’on évoque la survie dans le désert, on pense à la forme la plus précaire, la plus fragile, la plus diminuée de la vie. Inversement, lorsqu’on dit que l’âme survit au corps, on s’imagine une vie après la mort, c’est-à-dire une autre vie, plus vraie, plus belle, plus haute. Ces deux usages du terme paraissent presque contradictoires. Ils portent cependant la même idée : celle d’un excès du vivant par rapport aux conditions de sa propre vie. Que ce soit dans l’expérience de la privation ou dans celle du dépassement, la vie semble toucher à ce qui en elle survit, à ce qui reste ou qui résiste quand tout a disparu. À partir de cette étrange coïncidence, nous ferons l’hypothèse que ce qu’une vie a de plus vrai est cela qui en elle-même l’excède – la capacité de survivre – et nous chercherons dans les différentes formes de la survie autant de figures de la vérité.

Le terme de « survie » a deux sens. En un premier sens, on appelle « survie » le plus bas niveau de la vie, celui où l’on ne vit pas tout à fait, mais où l’on ne fait que survivre. C’est la vie réduite à ce qu’elle a de plus rudimentaire et de plus précaire, à sa strate matérielle et biologique. En un second sens, on appelle « survie » l’au-delà de la vie, ce qui commence après la vie (c’est-à-dire après la mort). C’est l’idée qu’il y a une vie après la vie. Dans ce cas, la vie est élevée à ce qu’elle a de plus haut et de plus éthéré, à l’éternité et à l’immortalité. À première vue, ces deux significations sont symétriquement opposées. (cf. Walter Benjamin, La tâche du traducteur : Überleben=sur-vivre, aller au-delà de la vie/Fortleben=survivre, continuer à vivre)

Le premier mode de survie s’expérimente dans la précarité. C’est-à-dire dans une condition de dénuement et d’amenuisement de la vie, où celle-ci est ramenée à son niveau le plus bas. Quand la vie ne consiste plus qu’à se maintenir en vie, à assurer le minimum vital. C’est ce qui arrive dans l’extrême pauvreté ou dans la grande aventure, exceptionnelle (le désert ou la montagne), quand on n’a pas de quoi vivre dignement ou qu’on a quitté le confort de la vie quotidienne. Que ce soit dans une grande métropole, dans la jungle ou dans le désert, on doit survivre dès lors qu’on se trouve sans ressources ou presque dans un environnement hostile. Dans la survie, on fait l’épreuve d’une vie simplement animale, voire organique, d’une vie dans laquelle il y va uniquement de la conservation de la vie : son seul horizon c’est de se conserver elle-même.

Le second mode de survie est postulé après la mort. On fait l’hypothèse qu’il y a une vie après la mort, une autre vie, une vie dans l’au-delà. Ce peut être de l’ordre d’une croyance religieuse (le monde des morts, le paradis, la vie éternelle, etc), mais c’est aussi une idée philosophique (l’immortalité de l’âme, cf. Platon, La République, le mythe d’Er, première séance). Sans doute parce qu’on constate la destruction du corps après la mort, on se figure que ce qui n’est pas corporel peut survivre au corps. L’âme ou l’esprit sont donc envisagés comme des réalités immortelles. La survie est donc l’affaire de l’âme, de ce qui survit au corps et à la vie du corps. C’est, en ce sens, la vie la plus haute, une vie intégralement spirituelle et immatérielle.

Les deux sens de la survie s’opposent donc, encore une fois, comme la vie la plus haute et la vie la plus basse. Toutefois, si l’on s’intéresse de plus près aux conceptions de l’au-delà de la vie (religieuses ou philosophiques), on peut remarquer que ces deux dimensions coexistent. Je prendrai un exemple qui nous est connu (cf. premier cours) : la conception platonicienne de l’au-delà de la vie (le mythe d’Er, cf. République, X). Dans le mythe d’Er, Socrate raconte comment l’âme d’Er le pamphylien quitte son corps après sa mort sur le champ de bataille et se retrouve dans l’Hadès, dans le monde des morts, parmi les toutes âmes, pour assister au cycle de la métempsychose. Ce récit entrecroise deux lignes : la question philosophique de l’immortalité de l’âme et la vision imaginaire du périple de l’âme dans le monde des morts. D’une part, Platon réaffirme (implicitement) la thèse de l’immortalité de l’âme et de sa séparation d’avec le corps (qui fait ailleurs l’objet d’une démonstration, cf. Phédon, Phèdre, etc). D’autre part, il raconte le voyage tumultueux de l’âme dans l’Hadès, les épreuves par lesquelles elle passe, les lieux hostiles qu’elle parcourt, la condition misérable dans laquelle elle se trouve (au moins pour certaines âmes). Autrement dit, bien qu’il soit conçu comme quelque chose de hautement spirituel, l’au-delà de la vie est figuré sur le mode de la survie la plus périlleuse et la plus rude. Le monde des morts n’apparaît pas comme un havre de paix, mais comme un lieu hostile et dangereux, dans lequel l’âme doit lutter pour sa survie. Or ce trait est partagé par de nombreux mythes eschatologiques (cf. En Egypte : il fallait enterrer les pharaons avec de l’argent et des armes pour s’équiper afin d’affronter les épreuves du monde des morts). Le monde de la mort, c’est une galère.

On retrouve donc, dans l’affirmation de l’au-delà de la vie, les formes de la vie la plus précaire. La vie après la mort est décrite et imaginée comme une survie. Je voudrais envisager la réciproque : chercher dans l’expérience de la survie la possibilité d’un au-delà de la vie. Si l’on a si souvent imaginé l’au-delà de la vie comme une expérience de la survie, n’est-ce pas parce que dans l’expérience de la survie s’annonce un au-delà de la vie ? Non pas une promesse d’immortalité, mais la possibilité d’une survie. Je ne veux donc pas parler de l’immortalité de l’âme ou des preuves de la vie éternelle, mais des raisons qu’il y a de penser qu’il y a un au-delà de la vie, qui est en question aussi bien, pour ainsi dire, quand on survit à la vie que quand on survit à la mort. Ces raisons sont très pratiques, très concrètes. Elles proviennent de l’expérience vitale que constitue la survie.

Cela revient à s’interroger, sur le plan conceptuel, sur la coïncidence surprenante qu’on entrevoit entre les deux sens de la survie qu’on a distingués : la vie précaire et l’au-delà de la vie. On cherchera à surmonter l’opposition sémantique et à montrer qu’il n’y a pas d’homonymie du terme « survie ». On essaiera de montrer qu’on parle de la même chose dans les deux cas – à la fois la vie la plus haute et la vie la plus basse. Splendeur et misère de la survie. Ce qui revient à tenter de construire une unité du concept de survie.

Or, l’œuvre d’Antoine Volodine est tout entière marquée par une telle coïncidence. En effet, ses livres se situent dans un univers à la fois post-apocalyptique et post-mortem. L’errance des personnages dans les ruines de la civilisation (souvent des paysages déserts de taïga et de toundra ou des ruines de camps soviétiques) se confond avec le voyage des âmes dans le néant ou dans la mort (l’espace noir). Volodine mélange un grand récit sur l’extinction de l’humanité (inspiré par l’histoire du communisme, du totalitarisme et du capitalisme agressif) et une méditation sur le sort des morts (influencé notamment par le Bardo Thödol, Le livre des morts tibétain ; littéralement, ça veut dire « le livre sur les états intermédiaires » : c’est un peu le livre qui permet de s’équiper après la mort et avant la réincarnation). Je partirai donc d’un texte de Volodine (extrait de Des anges mineurs, 43).

Plan :

  • remarques sur le texte
  • premier point de vue sur la survie : le dépassement des conditions vitales
  • deuxième point de vue sur la survie : la pulsion de mort
  • troisième point de vue sur la survie : l’excès constitutif de la vie

Il y a, dans le texte de Volodine, un certain nombre de choses en rapport avec le problème qu’on a posé. Il ne s’agit donc pas de faire un commentaire littéraire du texte : je ne parle pas en tant que spécialiste de l’œuvre de Volodine, je ne prétends pas pouvoir en dire grand-chose sur le plan littéraire, parler des intentions de l’auteur, de son style, de son écriture, ni même de ses idées. J’aimerais simplement en tirer deux ou trois choses quant au problème de la survie tel qu’on l’a posé.

Quelques éléments de contexte, sur les Anges mineurs. C’est un ensemble de tableaux, de « narrats », qui portent tous le nom d’un personnage (un ange mineur ?). On ne saisit pas toujours la cohérence du tout, mais ces narrats se croisent et se font écho. On distingue un noyau narratif (mais ce n’est pas vraiment l’histoire du livre) : Will Scheidman a été conçu (comme une sorte de poupée de chiffon) par ses grand-mères (les immortelles, des révolutionnaires communistes) pour faire triompher la révolution, mais au lieu de cela il a rétabli le capitalisme (l’exploitation de l’homme par l’homme). Ses grand-mères ont donc décidé de le fusiller. Dans tout le livre, Will Scheidman se tient devant un peloton d’exécution, formé par ses grand-mères qui ne parvient pas à se décider à tirer et raconte des histoires pour différer le moment de sa mort (cf. Les Mille et une nuits). Tous les narrats sont plus ou moins en lien avec ce noyau. Le narrat qui nous intéresse raconte le rêve de Maria Clementi, qui rêve qu’elle est Will Scheidman.

Je voudrais retenir trois idées du texte et à partir de là, construire un concept de survie qui réponde au problème qu’on a posé, à savoir : quel est le rapport entre les deux significations de la survie ? En quoi s’agit-il de la même chose ? Quel est cet au-delà de la vie qu’on peut appeler, dans tous les cas, « survie » ?

Premièrement, le texte baigne dans une ambiance de fin du monde. On ne sait pas trop ce qui se termine, mais quelque chose touche à sa fin. La steppe est vide et jonchée d’absence, il n’y a plus d’animaux et plus d’humains. C’est une terre morte. On dirait une sorte de cataclysme cosmique : pluie d’étoiles filantes et de météorites, émissions de gaz toxiques. On se croirait sur une autre planète ou dans un roman de science-fiction. Le paysage est apocalyptique (cf. Bosch). La terre est devenue déserte et hostile. Le néant progresse et menace. Pourtant, dans ce milieu inhabitable, il y a quelques survivantes : les vieilles immortelles. Elles rampent, presque anéanties, elles sont incapables de mourir.

Deuxièmement, les survivantes se tiennent dans un état ambigu entre vie et mort. Les vieilles sont immortelles, mais cela n’empêche pas qu’elles se dégradent, qu’elles soient concernées, d’une façon ou d’une autre par la mort. Elles sont « impropres à la prolongation de leur vie, mais ne sachant pas comment mourir ». Elles ne meurent pas parce qu’elles ne parviennent pas à mourir. Il en va de même pour Maria Clementi/Will Scheidman : « Je ne savais pas si j’étais mort ou si j’étais morte ou si j’allais mourir ». Non seulement il y a une confusion sur l’identité, sur le rêve et la réalité, mais aussi sur la vie et la mort : le narrateur ne sait pas s’il est encore vivant ou déjà mort. C’est cette même vie qui n’arrive pas à mourir, qui n’a pas accès à la mort : « Je ne savais pas comment mourir... », « ahurie par l’interminable ». On se tient à la limite entre la vie et la mort, dans un état intermédiaire (cf. Bardo Thödol, sur les états intermédiaires). À cet état liminaire entre vie et mort correspond un état physiologique amoindri : Will Scheidman n’est plus qu’un ensemble de squames laineuses, les vieilles sont « vraiment peu de chose ».

Troisièmement, l’action principale est la narration, le fait de raconter. Les deux personnages sont des conteurs. Will Scheidman, parce qu’il raconte des histoires pour ne pas être fusillé. Maria Clementi, qui rêve qu’elle est Will Scheidman, parce qu’elle est une auteure du post-exotisme (courant auquel appartient Antoine Volodine, cf. Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze) : elle est l’auteur d’un « romance » intitulé Des anges mineurs (comme le livre). Il y a un lien indéterminable entre le fait de raconter et la survie : une narration interminable. Il faut continuer à raconter, « quelles que fussent les circonstances ». Au milieu d’un paysage lunaire de fin du monde, alors qu’il n’y plus de vie, les quelques survivantes racontent et écoutent des histoires, des ébauches d’anecdotes, qui parfois n’ont pas de fin. Dans ce temps qui n’a plus de sens, cette succession interminable de jours, il y a tous les jours une nouvelle histoire (« quotidiennement quelque chose de nouveau »). Le statut de la narration est ambivalent : c’est à la fois ce qui rythme, ce qui apporte du nouveau, la seule positivité, et ce qui se renouvelle, qui est sans fin, qui fait traîner la fin.

De ces trois points, je voudrais tirer une première remarque concernant la survie. Il y a bien confusion entre la continuation de la vie et l’au-delà de la vie. On ne sait pas si les personnages survivent à une catastrophe, se maintiennent en vie ou s’ils sont au-delà de la vie, dans le monde de la mort. La survie dans le désert, dans le monde post-apocalyptique, prend la forme d’une expérience métaphysique trouble dans l’entre-deux entre vie et mort. La survie est une vie au-delà de la vie qui n’est pourtant pas exactement la mort.

Cette coïncidence entre les deux sens de la survie est d’autant plus remarquable que le premier sens (se maintenir en vie) est très peu développé. Dans un environnement désertique et hostile, les vieilles, qui ne sont plus capables de se nourrir, ne pensent qu’à une chose : que Will Scheidman raconte des histoires. Comme si la chose qui comptait le plus n’était pas de se sustenter, mais d’écouter des histoires. Comme si la survie dépendait de ceci plus que de cela.

Il y a là une idée fondamentale : le problème de la survie n’est pas celui de la subsistance. Les vieilles immortelles ne cherche pas à subsister, à subvenir à leurs besoins vitaux. Elles survivent en écoutant une nouvelle histoire tous les jours. Il faut faire une distinction forte entre survie et subsistance. Si on appelle « subsistance » le fait de se maintenir en vie, c’est-à-dire de se maintenir à un certain niveau d’équilibre, de satisfaire un certain nombre de besoins élémentaires, alors on peut dire que la survie est quelque chose d’autre. Certes, les deux notions se recoupent souvent. Elles se recoupent en extension, mais pas en compréhension. Quand on survit dans le désert, ou dans l’extrême pauvreté, on est confronté au problème de la subsistance, mais ce n’est pas la seule chose qui est en jeu. Je fais aussi face au problème de continuer à exister dans un environnement où toutes les coordonnées de la vie normale ont disparu, dans un milieu qui ne donne aucune condition pour que la vie continue. Ex : Saint-Exupéry, qui survit dans le désert peut-être plus à cause du Petit Prince, de l’histoire qu’il se raconte, que de la subsistance à proprement parler. En plus, on parle aussi de « survie » dans des cas où la subsistance n’est pas en jeu (survivre à un traumatisme ou à un péril, mais aussi à une époque ou à un monde) : l’enjeu n’est pas d’avoir à manger mais de perpétuer le monde, de continuer à vivre, à trouver le sens dans un monde qui n’est pas le nôtre.

Le problème de la subsistance, c’est celui de la perpétuation d’un certain état ou d’un certain équilibre, dont l’organisme a besoin pour fonctionner ou pour bien fonctionner, dont l’existence a besoin pour se perpétuer. Subsister, c’est maintenir ou assurer les conditions minimales de la vie. C’est, si l’on veut, satisfaire les besoins vitaux élémentaires.

Remarque sur la notion de besoin : c’est une notion trompeuse, qui donne à penser que la vie repose sur un certain nombre de besoins fondamentaux et minimaux, que la vie serait, avant tout, à son niveau le plus bas, un ensemble de besoins. Or, la notion de besoin renvoie à une situation de manque, au cercle de la privation et de la satisfaction. La vie, dans sa positivité, ne consiste pas en besoins. Elle n’est pas fondamentalement un manque. Le manque vient de la privation, c’est-à-dire de celui qui prive et qui pourvoit. Le concept de besoin est un concept économique, il implique une relation de pouvoir économique. Confondre la vie et les besoins, c’est se faire une image économique de la vie. Il faut déconstruire le concept de besoin.

Dans l’expérience de la survie, il y a parfois la subsistance, mais il s’agit cependant d’autre chose. Étymologiquement, la subsistance signifie le fait de se tenir en-dessous (sub-sistere). La subsistance, c’est le minimum, la condition minimale, ce qu’il y a sous la vie, au niveau le plus bas. La survie, au contraire, signifie le fait d’être au-dessus de la vie (super-vivere). La survie est donc ce qui se tient au-delà de la vie, ce qui dépasse la vie. On pourrait dire : la survie est ce qui excède la subsistance.

Il fallait raconter « quelles que fussent les circonstances ». Quelles sont les circonstances ? Celles de la fin du monde, du drame cosmique, de l’extinction de la vie. Pourtant, plutôt que de la nourriture, alors qu’on est incapable de manger, il faut une histoire, un narrat. La survie se joue précisément par-delà les circonstances, au-delà des conditions de la vie. La survie, c’est le dépassement des conditions de vie. L’essentiel dans la survie, ce n’est pas le maintien ou la reproduction des conditions de vie, la perpétuation de la subsistance, mais plutôt leur dépassement. Survivre sur une île déserte, avant que de subsister dessus, d’y établir des conditions minimales de vie, c’est survivre au naufrage (cf. Robinson Crusoe). C’est survivre à la destruction des conditions de vie.

C’est pourquoi on peut envisager une survie après la mort. Il ne s’agit pas de dire que la vie se maintient ou recommence après la mort. Au contraire, elle survit à la destruction de ses propres conditions (par exemple, le corps, la vie organique). Si la vie témoigne de cette capacité étrange à survivre à ses propres conditions, à franchir des seuils, à changer de conditions, on peut faire l’hypothèse qu’elle pourrait survivre à la destruction des conditions vitales elles-mêmes, franchir cet ultime seuil. La survie ne signifie pas ici l’immortalité, mais la mort comme dépassement des conditions de la vie (cf. Lévy-Bruhl, L’âme primitive, ch. 8 : les primitifs n’ont pas de notion de l’immortalité, mais de la survie comme changement de condition, comme continuation de la vie dans d’autres conditions). Dans le texte, Will Scheidman ne répond plus « aux normes animales » : ce n’est plus un vivant animal, mais il survit sous forme de squame laineuse.

Si survivre, c’est se tenir par-delà les conditions de la vie, c’est faire l’expérience de leur dépassement, les survivantes font ici l’expérience d’un au-delà de la vie qui est une mort sans fin.

Remarque en plus sur Primo Lévi, Si c’est un homme, le personnage se rappelle un vers de Dante où il est question de vivre comme un homme et non comme un animal. Un des enjeux ici est la destruction non seulement biologique mais aussi symbolique des juifs d’Europe, cf. Hannah Arendt sur le totalitarisme. Voir aussi Agamben, Ce qui reste d’Aushwitz et Aby Warburg, voir la référence sur le texte de Volodine (en bas de page) distribué samedi.

La deuxième remarque que je voudrais faire concerne ce rapport entre vie et mort. Vie inachevée et mort interminable. On a fait l’hypothèse d’une sorte de continuité entre la vie et la mort, ou plutôt, d’une continuité de la survie, selon laquelle la mort n’est pas une fin absolue, mais une limite, peut-être pas une limite comme une autre, mais un seuil qui marque un changement radical de conditions. Si c’est la même chose qui est en jeu dans la survie ici-bas et dans la survie au-delà, dans la survie dans la vie et dans la survie dans la mort, alors ne trouve-t-on pas déjà dans la vie quelque chose qui ressemble à la mort ?

L’enjeu est d’aller chercher dans le concept de pulsion de mort, en psychanalyse, pour l’interpréter comme un concept de survivance, pour voir comment la mort joue dans la vie.

Dans la vision de Maria Clementi, le corps de Will Scheidmann est devenu une immense squame laineuse, les vieilles immortelles sont réduites à l’état de corps démantelés qui rampent et gesticulent interminablement. On a l’image d’une humanité non pas précaire, en loques et en haillons, mais monstrueuse et mutante, défigurée ou irradiée. Cependant les vieilles insistent, « sans plus d’émotion ni de nostalgie », pour que Will Scheidmann raconte des histoires, et celui-ci persiste, « pour toute autre raison que nul ne réussirait désormais à éclaircir », à raconter des histoires aux vieilles grand-mères. Il y a quelque chose de tout à fait absurde à cette perpétuation de la parole et de la vie au-delà d’elle-même (cf. Beckett). Non seulement parce que ceux et celles qui demeurent en cette fin du monde sont en lambeaux mais en plus ce qui motive la demande des vieilles n’a aucune raison, tout comme le fait que Will Scheidman raconte des histoires. Comme dans Fin de partie ou Oh les Beaux Jours ! de Beckett

Ce désir sans nom et sans figure, Lacan l’identifie comme la libido. « C’est la libido, en tant que pur instinct de vie c’est-à-dire de vie immortelle, de vie irrépressible, de vie qui n’a besoin, elle, d’aucun organe, de vie simplifiée et indestructible » (Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, XV, Seuil, Paris, 1973, p. 180). Il lui donne la figure mythique d’une « lamelle », d’un objet extra-plat et mouvant comme l’amibe, d’une sorte d’alien ou d’ « organe sans corps » (Zizek). C’est ce que Freud a appelé « pulsion de mort ». Non pas une aspiration à la mort, à la dissolution dans le néant, mais un désir brut, compulsif et frénétique, qui résiste à la vie, lui échappe et lui survit (cf. Zizek : undead, comme les zombies et les morts-vivants). Le texte met donc en scène quelque chose qui a rapport avec la pulsion de mort, entendue comme forme de survie.

Dans l’essai de 1920, Au-delà du principe de plaisir, Freud fait l’hypothèse qu’il existe une pulsion de mort. Il fait cette hypothèse parce qu’il observe, entre autre, des patients qui ont développé une forte compulsion de répétition, notamment suite aux traumatismes de la guerre de 1914-1918. Plus généralement, les personnes qui ont subi un traumatisme, dont la vie a été mise en danger, développent une tendance à répéter compulsivement leur traumatisme (par exemple dans les rêves : le rêve n’est donc plus l’accomplissement d’un désir refoulé (comme il l’écrivait plus tôt dans de l’interprétation des rêves), mais la répétition d’une souffrance). C’est la pulsion de mort qui pousse à répéter le traumatisme.

On pourrait dire, plus précisément et de façon plus incisive, que le désir ne fonctionne pas seulement selon le principe du plaisir mais aussi en cherchant le déplaisir. Le désir est aussi lié à la mort, et peut-être plus fondamentalement à la mort qu’au plaisir. En effet, le plaisir fonctionne par homéostasie : il est obtenu par la diminution de l’excitation, par l’annulation de la tension. Le plaisir, c’est le rétablissement de la balance homéostatique. Or, la pulsion de mort rompt cet équilibre et joue contre le plaisir. On ne désire pas que le plaisir.

Pourquoi « pulsion de mort » ? Parce que la compulsion de répétition provient, selon Freud, d’une tendance de l’organisme à faire retour vers un état antérieur, à répéter ce qui précédait, à revenir au même. Or, l’état antérieur originel, celui qui précède tous les états de l’organisme, c’est un état inorganique : la mort. Autrement dit, toute la vie organique est un processus qui tend vers la mort. Pour Freud, la mort n’est pas ce qui vient après la vie, mais ce qui a toujours été là : « le non-vivant était là avant le vivant » (Au-delà du principe de plaisir, 5). Ce non-vivant originaire, c’est l’inertie absolue, l’inorganique pur. La mort est l’origine et le but de la vie organique.

L’organisme, la vie organique, dans sa complexité croissante, n’est qu’une suite de détours pour atteindre la mort, qui se sont en quelque sorte sédimentés et ont fabriqué du vivant, par un jeu de réponses aux excitations de l’environnement extérieur. La vie cherche à revenir à l’équilibre et l’équilibre, fondamentalement, c’est la mort. En ce sens, la vie vient du dehors et la mort est interne. L’homéostasie organique est une double réponse à la tendance intérieure à la conservation de l’inertie et aux excitations extérieures.

L’opposition entre le principe de plaisir et la pulsion de mort n’est donc qu’apparente et superficielle. L’une passe par le chemin le plus long, l’autre par le chemin le plus court. La vie, du niveau organique au niveau conscient, fonctionne par homéostasie. Elle repose sur un certain équilibre, elle cherche à maintenir ses variables autour d’une valeur donnée. Là où la vie organique est sans cesse travaillée par une tension vers l’inorganique, la vie psychique est sans cesse travaillée par la pulsion de mort. Ce ne sont pas le principe de plaisir et le principe de réalité qui s’opposent, mais le couplage entre plaisir et réalité (le maintien de l’équilibre) d’une part et la pulsion de mort d’autre part (qui cherche le déplaisir). Mais en fait les deux ne s’opposent pas tant que ça.

Remarques. La vie se développe en passant par les chemins les plus longs, en faisant des détours de plus en plus complexes. Mais en même temps se développe la tendance à aller à la mort par le chemin le plus court.

L’équilibre homéostatique de la vie est sans cesse travaillé par la pulsion de mort. Il y a quelque chose qui ne cesse de défaire sourdement les équilibres vitaux, qui n’a rien à voir avec une menace extérieure, mais qui est une tendance de la vie elle-même, son désir le plus profond et le plus sourd. Si la pulsion de mort est ce qui survit à la vie et si elle fait partie intégrante de la vie, alors, il faut essayer de comprendre en quel sens la vie est structurée par la survie. C’est-à-dire en quoi la survie est à l’origine de la vie. La vie est structurellement constituée par quelque chose qui lui échappe. La pulsion de mort permet de nommer ce qui, dans la vie, se confronte à la mort et prend pour ça la forme de la survie. La vie, en elle, porte les conditions de sa destruction : on part en guerre, on vrille, etc. La pulsion de mort fait voler en éclat les conditions de la vie tout en lui survivant.

Ce sera donc ma troisième remarque : comprendre en quoi la vie est doublée, structurée par la survie, par cet excès qui à la fois la menace et la porte au-delà d’elle-même.

Quelque chose dans la vie e se réduit pas à ses conditions, son environnement, etc, et cette chose est indestructible, c’est la survie ou la pulsion de mort.

Le texte de Volodine joue sur deux plans : la réalité et le rêve. La scène de fin du monde se déroule dans un espace onirique. Ce n’est toutefois pas un cauchemar : « Je me suis réveillée en sursaut […] J’eus envie de me rendormir au plus tôt ». C’est la réalité qu’on cherche à fuir, dans le rêve. Le texte dispose un certain nombre d’indices qui permettent de comprendre sur quels éléments matériels s’appuie le rêve du narrateur : la lune, le trouble de la vision nocturne, l’absence de bruit, l’eau qui goutte dans le seau, la mauvaise odeur, la touffe de cheveux, etc. Ce sont autant de détails qui correspondent avec des éléments rêvés. Ce n’est toutefois pas un parallélisme strict, à la fin le rêve et la réalité deviennent poreux : « La lune était brouillée par le rêve et par une pluie d’étoiles filantes ». Les éléments oniriques semblent pénétrer la réalité et la troubler. On ne sait plus sur quel plan se déroulent les choses : « À chaque fois que l’une d’elle m’atteignait, je me réveillais ». Il y a un chiasme entre le rêve et la réalité, un brouillage topologique (cf. Tchouang-Tseu qui rêve qu’il est un papillon).

Ce brouillage se double d’une autre confusion : celle entre Maria Clementi et Will Scheidmann. Dans un premier temps, Maria Clementi rêve qu’elle s’appelle Will Scheidmann (alors que son nom est Maria Clementi). Ensuite, « on » lui confie le rôle de Will Scheidmann, sans qu’elle puisse « attribuer un nom au metteur en scène ». Enfin, elle ne sait plus si elle est Maria Clementi ou Will Scheidmann. Le texte ne cesse d’osciller entre une narration en première personne (« je ») et une narration en troisième personne (« Will Scheidmann »). La confusion va croissante : on part d’une identité symboliquement assurée (« mon nom est Clementi, Maria Clementi »), à un doute quant à l’origine des rôles symboliques (« Quand je dis on, c’est, bien entendu, en regrettant de ne pouvoir attribuer un nom au metteur en scène »), à une confusion totale entre les deux identités (« Je ne savais plus si j’étais Will Scheidmann ou Maria Clementi... »). Les deux identités sont aussi en concurrence dans la détermination du récit intitulé Des anges mineurs : est-ce le romance de Maria Clementi ou les narrats de Will Scheidmann ? Sans mentionner que c’est aussi, évidemment, le titre du livre dont est extrait le texte.

Brouillage entre le rêve et la réalité, entre les identités – qui rappelle le brouillage entre la vie et la mort. On pourrait s’en tenir à une lecture faible et dire que tout est brouillé, tout vacille, qu’on ne sait plus ce qui est quoi et que le travail littéraire montre justement la porosité de toutes ces catégories. Ce serait un peu frustrant et, surtout, cela ne nous avancerait pas dans la réflexion sur l’idée de survie. Je voudrais donc tenter une lecture forte, parce que je crois qu’on peut en tirer quelque chose de précis quant à la question de la survie.

À bien y regarder, il n’y a pas une symétrie parfaite entre les deux positions (réalité/rêve, Maria Clementi/Will Scheidmann). C’est bien Maria Clementi qui se demande si elle est Will Scheidmann ou si ce n’est qu’un rêve. Ce n’est cependant pas le signe d’une transparence de la conscience à elle-même. Au contraire, cela indique ce qu’a de superficiel la conscience et l’opacité profonde du rapport à soi. Will Scheidmann ne se demande pas s’il est Maria Clementi. Sans doute parce qu’il n’est que le rêve de Maria Clementi (même si, par ailleurs, il est un personnage réel – dans la fiction de Volodine). Pourquoi quand Maria Clementi rêve qu’elle est Will Scheidmann, le rêve-t-elle avec autant de force, au point qu’elle en vient à douter si elle est lui ou elle ? L’impression d’évidence du rêve, sa force de suggestion, sa puissance hallucinatoire ne traduisent pas tant l’illusion que le fait qu’on touche, dans le rêve, à quelque chose de vrai. Quand on est dans le rêve, on y est à fond, parce que c’est là que se dit quelque chose de vrai sur ce que l’on est (cf. Lacan, à propos du rêve de Tchouang-Tseu). C’est de là que l’on se voit, depuis un point de vue plus profond que toute conscience de soi.

Le narrateur n’est pas Will Scheidmann. Ce n’est qu’un « rôle » (ou si l’on veut, un fantasme). Sauf qu’il n’est pas non plus, pas de façon beaucoup plus certaine, Maria Clementi. C’est pourquoi il dit « je disais je au hasard, j’ignorais qui parlait en moi et quelles intelligences m’avaient conçue ou m’examinaient ». Peut-on dire « je » autrement qu’au hasard ? Je, c’est aussi bien Maria Clementi que Will Scheidmann. C’est un pronom, un porte-voix. Le nom « Maria Clementi » n’a d’intérêt que pour les autres, c’est une convention, il ne permet pas de savoir grand-chose. Or, la narratrice est seule (« ma respiration n’avait pas de compagne »). Qui parle, quand je dis « je » (la question revient tout le temps dans le livre) ? C’est le point par lequel le sujet advient au langage, s’inscrit dans le langage et existe comme sujet (cf. Benveniste). Pourtant, « je » ne renvoie à aucune identité définitive, à aucune conscience assurée de soi. Paradoxalement, le pronom je est ce qui fait vaciller l’identité et la certitude de soi.

« Je ne savais pas si j’étais mort ou si j’étais morte ou si j’allais mourir ». C’est la question qui surgit immédiatement. C’est peut-être la question fondamentale qui se pose quand on dit « je ». « De même que je n’ai pas besoin de percevoir pour comprendre un énoncé de perception, je n’ai pas besoin de l’intuition de l’objet Je pour comprendre le mot Je. […] Cela seul permet de rendre compte du fait que nous comprenons le mot Je non seulement quand son « auteur » est inconnu mais quand il est parfaitement fictif. Et quand il est mort. […] Ma mort est structurellement nécessaire au prononcé du Je » (J. Derrida, La voix et le phénomène, Paris, PUF, 1967, p. 107-108).

La remarque est à la fois très simple et vertigineuse : pour comprendre le sens du mot « je » il n’y a pas besoin de savoir de quoi ou de qui l’on parle, il n’y a même pas besoin qu’on parle de quelque chose ou de quelqu’un. En ce sens, le pronom je n’implique pas la conscience, la présence ou la vie de celui ou celle qui le dit, mais, au contraire, porte nécessairement la possibilité de sa mort. Autrement dit, la subjectivation, l’inscription dans le langage comme sujet, est marquée par la mort. Pour que je puisse dire je, il faut que je puisse mourir.

Pourquoi ?

Quand on dit « chaise », pour comprendre, il y a juste besoin de savoir/percevoir ce qu’est une chaise. Quand quelqu’un dit « je », ça peut s’appliquer à plein de gens différents (morts, vivants, fictifs) mais on a besoin d’emprunter ce signe au langage seulement pour signifier qu’on peut mourir. Il y a nécessairement, dans l’usage du pronom « je », la possibilité de la mort. Mais on ne comprend toujours pas pourquoi exactement. Derrière le « je », il faut qu’il y ait la possibilité d’avoir quelqu’un comme quelqu’un d’autre, un mort comme un vivant : « je », ça veut dire quelque chose sans qu’il y ait besoin d’un locuteur qui donne du sens à ce qui est dit et de ce point de vue là ça renvoie à la possibilité de la mort. On continue mais c’est le point obscur de la mort.

Volodine le dit lui aussi, à sa façon. C’est même un principe stylistique du post-exotisme : « Je dis « je », « je crois » mais on aura compris qu’il s’agit, là aussi, de pure convention. La première perosnne du singulier sert à accompagner la voix des autres, elle ne signifie rien de plus. Sans dommage pour la compréhension de ce poème, on peut considérer que je suis ort depuis des lustres, et ne pas tenir compte du « je »… Pour un narrateur post-exotique, de toute façon, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre la première personne et les autres, et gère de différence entre vie et mort » (Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze, Paris, Gallimard, 1998, p. 19).

Il y a quelque chose de « testamentaire » dans le pronom je et dans l’inscription de soi dans le langage en général. C’est une trace qu’on laisse aux autres, à la postérité, à celles et ceux qui viennent après.

Est-ce que ça veut dire qu’avant de dire « je » il n’y a pas de pulsion de mort ? Oui.

« Je pensais à tous les animaux décédés avant moi et aux humains disparus et je me demandais devant qui je pourrais un jour réciter Des anges mineurs ». Non seulement le locuteur peut disparaître, mais le destinataire a aussi disparu. Qui va raconter quoi à qui ? Le rêve de Maria Clementi est la réponse à cette question : Will Scheidmann, ce fatras de squame laineuse, raconte des histoires sans fin à des vieilles grand-mères immortelles et démantelées. La parole ne meurt pas, non pas grâce à la gloire immortelle de l’œuvre, mais par la survivance entêtée de bouts de récits racontés par des loques. Ce dont Maria Clementi fait l’expérience dans son rêve, c’est d’un désir qui est aussi pulsion de mort, d’une survie qui ruine toute identité et toute présence. Cet excès de la survie par rapport à la vie travaille au cœur de celle-ci, comme sa structure la plus propre et peut-être sa vérité la plus intime.

Expérience terrifiante, ou plutôt ahurissante. Alors elle reste abasourdie, comme les vieilles, par l’interminable, sans pouvoir ni mourir ni parler, à gesticuler du bout des doigts dans le noir. Elle n’entend plus rien et elle écoute la pulsation de sa propre survie.

Pour conclure, je me contenterai de récapituler ce qu’on a vu. On a tenté de formuler, à partir d’une lecture du texte de Volodine, les trois points suivants :

  • la survie consiste dans un dépassement des conditions de la vie
  • ce dépassement travaille la vie comme une pulsion de mort
  • cette non-coïncidence à soi est constitutive de la vie

Il ne s’agit donc ni d’administrer une preuve de la vie éternelle ni de faire une hypothèse sur ce qu’est la vie après la mort, mais de chercher à comprendre en quoi la survie est une donnée structurelle de la vie. Ce n’est qu’à partir de là que la spéculation sur l’au-delà de la vie a du sens.

J’aimerais simplement, pour finir, relier ce propos sur la survie au thème de la vraie vie (et par là justifier le titre). Je m’appuierai sur un propos de Derrida : « Nous sommes structurellement des survivants, marqués par cette structure de la trace, du testament. Mais, ayant dit cela, je ne voudrais pas laisser cours à l’interprétation selon laquelle la survivance est plutôt du côté de la mort, du passé, que de la vie et de l’avenir. Non, tout le temps, la déconstruction est du côté du oui, de l’affirmation de la vie. […] La survivance, c’est la vie au-delà de la vie, la vie plus que la vie, et le discours que je tiens n’est pas mortifère, au contraire, c’est l’affirmation d’un vivant qui préfère le vivre et donc le survivre à la mort, car la survie, ce n’est pas simplement ce qui reste, c’est la vie la plus intense possible » (Apprendre à vivre enfin, p. 54-55).

Peut-être faut-il entendre « survie » comme « surhomme ». Non pas seulement comme ce qu’il y a après la mort et au-delà de la vie, mais comme ce par quoi la vie se dépasse elle-même. Que ce soit dans l’exposition du corps aux plus grands dangers ou dans la résistance de l’esprit aux plus terribles épreuves, c’est dans cette mise en tension avec elle-même que la vie devient plus intense et peut-être un peu plus vraie.

  1. La survie n’est pas ce qui vient après mais la condition immanente et effective de la vie dans l’exposition du corps au plus grand danger, aux plus grandes épreuves. Quel sens y a-t-il à dire que cette survie touche au sens le plus intime de la vie, à la vraie vie ? Sachant que cette survie est aussi une expérience de la souffrance.
  2. Si l’hypothèse continuiste de la survie (ie il y a déjà de la survie dans la vie) est possible, à quoi ressemblerait une spéculation sur la vie après la mort ? Peut-on encore penser cette question ?

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