La session commencera par un moment de problématisation. Nous ferons émerger les questions, les nœuds, les contradictions du thème de cette année : « prendre conscience ». La semaine s’organisera ensuite entre des matinées de lectures suivies et des après-midi d’ateliers. Ci-dessous, vous trouverez l’emploi du temps et les présentations résumées des ateliers. Vous pouvez également télécharger des présentations plus détaillées, à gauche.
Les lectures suivies seront l’occasion de découvrir un ou plusieurs textes d’un auteur de philosophie classique (et masculins, à qui la faute) au choix entre Hegel, Marx et Freud.
Chacun.e choisira également deux ateliers pour toute la session : 1 parmi les 3 (A), 1 parmi les 4 (B). Ces ateliers se dérouleront sur deux séances.
Nous terminerons la semaine par un nouveau moment de problématisation, enrichi de tout ce qui aura été pensé et discuté au long de la semaine.
Pour cette semaine, il n’y a pas de cours magistraux, nous allons plutôt réfléchir en petits groupes, et tenter de se frayer un chemin dans ce thème qui recoupe des enjeux de philosophie classique et des questions politiques actuelles.
« Là où était du ça, doit advenir du moi. Il s’agit d’un travail de civilisation, un peu comme l’assèchement du Zuyderzee » (Freud, « La décomposition de la personnalité psychique », 1933).
La psychanalyse fait l’hypothèse que la plus grande partie de la vie psychique – et de la vie tout court – est inconsciente. Elle se donne pour but paradoxal de nous en faire prendre conscience : de nous faire accéder à la part cachée de nous-même qui nous fait souffrir sans qu’on comprenne pourquoi, parce qu’elle nous détermine à notre insu et porte en elle la vérité de ce que nous sommes et de ce que nous désirons. Comment peut-on prendre conscience de notre inconscient ? Cela s’apparente-t-il à un remplacement du « ça » inconscient par le « moi » conscient ? À une vidange de l’inconscient, analogue au projet de poldérisation du Zuyderzee au Pays-Bas ? Pour comprendre l’enjeu d’une telle prise de conscience, on se propose de lire en longueur « Le moi et le ça » (1923), dans lequel Freud expose sa « deuxième topique », à savoir sa théorie la plus achevée de la structure du psychisme.
C’est une lecture difficile, dans laquelle nous prendrons le temps de nous perdre et de nous ressaisir. Prendre conscience : c’est dire que la conscience est prise, comme quelque chose. À la lecture de Hegel, nous nous demanderons quelle est la nature de la prise, lorsque l’on prend, parmi les choses, une conscience. Selon lui, la conscience existe en tant que relation. Mais prendre une relation ne va pas sans résistance, et prendre conscience est le lieu d’une lutte, entre soi et l’autre, entre soi et soi-même également. Car il y a déjà une différence entre moi et la conscience : la langue se trahit dans la formulation « j’ai conscience ». Prendre cette relation, c’est se prendre soi-même à bras-le-corps et découvrir que la conscience la plus énigmatique qui soit, c’est la conscience-de-soi.
« Dans cette expérience, il devient présent à la conscience de soi que la vie lui est aussi essentielle que la pure conscience de soi. » (p. 270). Éditions Vrin, traduction Bourgeois.
À première vue, la pensée de Karl Marx incite à nous méfier de ce que la philosophie nommait jusqu’à lui la « conscience » puisque, d’après lui, « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur être social qui détermine leur conscience ». Autrement dit, plutôt que de se battre sur le terrain des idées, de la culture ou de la religion, mieux vaut s’intéresser à l’être social, soit l’ensemble des conditions matérielles d’existence et de travail qui déterminent les individus et la société. Mais comment s’effectue cette détermination, que signifie-t-elle ? Faut-il comprendre que telle condition sociale implique nécessairement telle conscience, avec les discours et les actions qui vont avec ? Comment expliquer, dans ce cas, que les ouvriers ne fassent pas d’emblée la révolution que semble leur dicter leurs conditions d’exploitation ? Ne faut-il pas, malgré tout, un moment de prise de conscience ? Que peut-il alors signifier dans le cadre de la pensée de Marx ?
« Non, les masses n’ont pas été trompées, elles ont désiré le fascisme à tel moment, en telles circonstances, et c’est cela qu’il faut expliquer », Deleuze et Guattari, Anti-Oedipe, 1972
« C’est précisément cette irrationalité totale de ses slogans qui vint en aide à la fascination idéologique du fascisme », H.M Enzensberger, Le bref été de l’anarchie, 1972
Cet atelier propose d’explorer les rapports entre politique et désir, en partant de l’idée qu’une analyse matérialiste des rapports de domination ne suffit pas à rendre compte de la montée du fascisme ni de l’impuissance de la gauche. Autrement dit, une politique de la conscience ne suffit pas. Dans un premier temps, on lira des extraits de Deleuze et Guattari autour de l’idée selon laquelle « les masses ont désiré le fascisme », pour comprendre, avec les outils du freudo-marxisme, comment s’articulent le champ social et le champ fantasmatique, les intérêts économiques et le fonctionnement inconscient. Ensuite, à partir de questions qui se seront dégagées de la lecture, on discutera de l’actualité de cette analyse : d’où vient le désir du fascisme ? Y a-t-il des fantasmes de gauche ? Par quoi les consciences sont-elles prises ?
Certain.es philosophes ont employé la forme du dialogue, réel ou imaginaire, pour mettre leurs idées à l’épreuve ou rendre compte d’une dualité de points de vue. Si la conscience est essentiellement une relation (on a bien conscience de quelque chose, de quelqu’un.e ou de soi-même), on pourrait supposer que les dialogues philosophiques sont le lieu privilégié d’un élargissement de cette relation, d’une « prise de conscience ». Nous lirons donc ceux de Socrate et de Zhuangzi. Or, la « conscience » étant un concept récent, socio-historiquement situé et, par ailleurs, un phénomène culturellement construit, on peut se demander s’il se passe effectivement une prise de conscience dans ces dialogues lointains, ou autre chose. On cherchera à comprendre ce qui permet de reconnaître une prise de conscience et ce qui la distingue d’autres phénomènes qui procurent un sentiment de découverte ou d’élévation. Fort.es de ces distinctions, nous nous essayerons, en groupe, à la forme du dialogue philosophique, pour témoigner de ses effets et identifier les techniques et conditions qui donnent éventuellement à la conscience de nouvelles prises.
La bonne conscience est l’apanage de la bourgeoisie ; dont celui de l’Occident, la bourgeoisie du monde. Comment comprendre qu’elle soit bien souvent, aussi, l’attribut de la gauche ? Comprise comme la prise de conscience d’avoir pris conscience, elle apparaît comme le truc que trouve la mauvaise conscience pour se blanchir cependant qu’elle se sait coupable. Soit la résolution dans et par la conscience de la mauvaise conscience : la conscience qui se coince elle-même. Vouloir faire de la politique sans renoncer à l’éthique, pourtant, c’est courir le risque d’avoir pris conscience, et de garder les mains propres : le risque de la bonne conscience, qui se satisfait de sa supériorité morale – et de son impuissance. La bonne conscience n’aime pas les questions de tactique, mais l’action politique n’aime pas la bonne conscience. Pour chercher à savoir si on peut on prendre conscience sans prendre la bonne ni la mauvaise, nous jouerons à élaborer ensemble différentes définitions de la bonne conscience et chercherons à la distinguer conceptuellement et éthiquement d’une conscience lucide, cela à partir des lectures serrées d’un texte de Talal Asad (auteur canonique des théories décoloniales) et d’un autre de Simone Weil (philosophe française qui tient ensemble éthique et politique).
Que nous fait une tique, ou un chat, ou des rennes en Russie, ou encore des poulets pendus dans un abattoir ? Les affects qui naissent sont multiples : affectueux, prédateurs, métaboliques, maternels, perfides, protecteurs, répulsifs, destructeurs... Penser l’Animal, c’est prendre conscience des liens multiples qui sont tissés entre nous et les animaux. Il faut remettre en question nos outils - le langage - qui figent des catégories abstraites (animal, oiseau, cheval) et aussi notre culture technico-scientifique, ou plutôt notre inculture, qui nous a rendu absent.es aux animaux. Mais absent n’est pas insensible. Durant l’atelier, nous suivrons plusieurs pistes entre phénoménologie, anthropologie et poésie pour penser cette coexistence, et la composition des mondes entre mondes animaux et mondes humains. Cette prise de conscience que l’animal amène nous renverra régulièrement à deux difficultés : l’impossibilité d’une solution qui serait de se mettre à la place de l’animal, et inversement faire apparaître ce qu’il y a de problématique à être à notre place.
Il s’agira de visionner des images et des sons enregistrés lors d’un précédent atelier de la semaine. Nous nous rendrons attentif.ves à la manière dont la parole philosophique est prise dans un tissu de gestes, d’attitudes et de jeux de langages. Ensemble, nous tenterons deux versions de montage différentes de ces mêmes matériaux, et les commenterons. L’atelier n’ambitionnera pas de former individuellement à la technique du montage, mais d’examiner collectivement comment le montage peut transformer ou aiguiser la perception d’un évènement. L’atelier proposera de prendre du recul sur la façon dont la philosophie s’énonce dans l’espace de l’école. Nous nous demanderons si manipuler les rushes d’une situation vécue permet de modifier notre expérience de cette situation, et la conscience de nous-mêmes dans cette situation.
TW : cet atelier parle de suicide et de mort.
Dans cet atelier, nous explorerons les deux faces d’un dilemme que nous appellons « mourir ou mourir » : d’un côté, un pouvoir dont l’expression ultime de la souveraineté réside dans la gestion des vies et l’administration de la mort, de l’autre, la figure de celui qui, mort-vivant déjà, se donne la mort pour desserrer l’emprise de cette souveraineté. Nous allons nous intéresser au concept de nécropolitique en lisant un texte de Achille Mbembe. Constaterons le lien irrévocable qu’il établit entre liberté et mort à travers la figure du kamikaze : en l’absence de la première, il préfère la promesse d’une rédemption dans la seconde. Nous continuerons à suivre les paroles de celleux dont les vies sont soumises aux puissances de la mort et croiserons la figure de Huey P. Newton, l’un des fondateurs du Black Panthers Party qui dans son auto-biographie caractérise ainsi le suicide révolutionnaire : mourir « avec dignité et même s’il faut pour cela mourir prématurément, que cette mort aura un sens que le suicide réactionnaire ne pourra jamais avoir. C’est le prix de l’estime de soi. »
« Il est impossible aux intellectuels français contemporains d’imaginer le type de Pouvoir et de Désir qui habiteraient le sujet innommé de l’Autre de l’Europe. »
Dans cet atelier, nous proposons de décortiquer ensemble un texte classique des études post-coloniales, Les Subalternes peuvent elles parler ? de Gayatri Spivak. Le texte étant particulièrement difficile, l’atelier consistera en une lecture ligne à ligne de la première partie. Son but sera de permettre la compréhension de ce qui y est dit et de profiter de ce moment ensemble pour s’approprier ce texte qui peut être déstabilisant au premier abord. Dans cette première partie, l’intellectuelle indienne commente et critique un dialogue entre Michel Foucault et Gilles Deleuze. Elle cherche à révéler en quoi le désintérêt de ces philosophes occidentaux pour la question de la transformation de la conscience, ainsi que l’affirmation selon laquelle « les masses savent ce qu’elle doivent faire, et le disent fort bien », sont en réalité les symptômes d’une philosophie de la dénégation qui refuse de penser sa propre position dans la division internationale du travail, et qui conduit à oblitérer une nouvelle fois les sujets post-coloniaux.
Tout peut servir d’exemple. Donc il n’y a pas d’exemple en soi.
A première vue, l’exemple de quelque chose est là pour consolider l’existence d’autre chose, pour faire advenir son être, pour l’imposer. On dirait que l’exemple est de l’ordre de l’impur, de l’imparfait, dévoilant partiellement et imparfaitement une réalité qui lui est supérieure. L’exemple a une fonction de monstration, il fait signe vers autre chose qui est extérieure à lui-même.
Quand la philosophie apparaît au Ve siècle av. J.-C., elle ne naît pas comme science, mais comme mode de vie. Philosopher, c’est vivre un certain genre de vie et, si l’on en croit ceux qui le vivent, le meilleur parmi tous. La vie bonne, c’est la vie contemplative. Une telle affirmation s’appuie une réflexion plus large sur les formes de vie – qui ne se réduit ni à la biologie, ni à la sociologie, ni à l’anthropologie, mais qui se situe en
deçà du partage entre l’étude générale du vivant et celle de ses formes singulières. La philosophie n’est donc qu’une forme de vie parmi les autres, mais cette forme prétend être la plus haute. Il faut donc chercher à comprendre ce qui lie l’étude des formes de vie à un plaidoyer pour la vie philosophique. Si le mot grec theoria ne signifie pas simplement « théorie », c’est-à-dire un savoir coupé de l’expérience, mais « contemplation », c’est-à-dire un certain rapport vivant à ce qui est, alors il faut examiner en quoi ce rapport peut prétendre être plus vrai que les autres.
Pour cette séance, on commencera par suivre le raisonnement de Nietzsche dans sa dimension destructrice. Ce dernier s’attaque en effet à tous les discours prétendument absolus – par exemple ceux de la philosophie ou de la religion – pour les ramener au type de vie qui l’énonce, en se demandant à chaque fois qui parle. Nietzsche est ainsi un des premiers auteurs à détruire la croyance en l’existence de vérités indépendantes de leur situation d’énonciation, et des rapports de pouvoir particuliers qui les caractérisent. Cette forme de nihilisme fait aujourd’hui partie de notre condition contemporaine : pourquoi choisir un mode de vie plutôt qu’un autre si toute croyance peut être réduite à une stratégie vitale ?
On verra ensuite comment Nietzsche tente de sortir de ce nihilisme. Pour cela, il lui faut reconstruire une distinction entre différentes existences plus ou moins authentiques, à l’intérieur d’un cadre où toute transcendance a été détruite. On examinera sa proposition, qui en passe entre autre par une opposition entre force et faiblesse, et on en questionnera les limites.